lundi 25 septembre 2017

Les malentendus de l'autisme - Communication non verbale et théorie de l'esprit

L'une des principales caractéristiques du syndrome d'Asperger est la difficulté dans les interactions sociales et la communication. Cela s'explique en partie par l'incapacité pour la personne autiste de faire preuve d'empathie* et de décoder le langage non-verbal constituant une part essentielle de la communication générale. 


Qu'est-ce que la communication non verbale?

La communication non verbale désigne tout échange n'ayant pas recours à la parole. Elle regroupe entre autres les gestes, postures, attitudes et expressions faciales communiqués consciemment ou non par l'interlocuteur. On s'accorde à dire que seulement 7% de la communication globale est véritablement transmise par les mots.

En tant qu'autiste, je suis confrontée à une réelle difficulté lors d'échanges sociaux, puisque j'ai tendance à prendre en compte uniquement la parole sans tenir compte des signaux annexes. Soit parce que je ne les "vois" pas, soit parce que je ne sais pas les interpréter correctement. Je dis souvent que j'entends de façon "brute" ce que l'on me raconte et que je ne sais pas "lire les gens". 

Imaginez un instant que vous soyez aveugle. Vous entendez parfaitement votre interlocuteur mais vous ne pouvez voir ni son regard, ni ses gestes, ni ses expressions faciales. Est-ce qu'il sourit? Est-ce qu'il est hostile? Impatient? Il ne vous reste que les mots et la façon dont ils sont prononcés pour comprendre le sens véritable d'une discussion. Compliqué, non? Mais ça ne s'arrête pas là.
Imaginez maintenant qu'en plus de ne pas voir, vous n'arrivez à saisir ni les différences dans l'intonation de votre interlocuteur, ni les variations dans le timbre de sa voix. Vous n'avez à votre disposition que les mots réellement prononcés pour décrypter le message que l'on vous fait passer... soit environ 7% de chance d'arriver à la bonne conclusion !



Avant d'être diagnostiquée autiste, je naviguais tant bien que mal dans les eaux complexes de la communication sociale et les malentendus se multipliaient sans que je puisse en identifier les causes. Je ressentais une impression de décalage permanent avec les autres, que ce soit dans le cadre familial, scolaire ou professionnel par la suite. J'avais besoin que l'on me dise les choses de manière très directe, sous peine de ne pas saisir la pensée profonde cachée derrière le message adressé. 
On m'a très souvent accusé - à tort - d'interpréter de travers ce qu'on essaie de me dire, comme si je parlais une langue étrangère dont les subtilités m'échappent encore. Pourtant, la plupart du temps, le problème ne vient pas du fait que j'interprète de façon erronée, mais bien ... que je n'interprète justement pas assez ! Les mots ont une signification bien précise, mais sont parfois à double tranchant et leur sens s'affine en fonction de la façon dont ils sont prononcés. Est-ce sympathique? Ironique? Les sous-entendus et le second degré sont d'autant plus difficile à saisir qu'ils sont dissimulés au creu de phrases tout à fait logiques.

Les personnes neurotypiques** interprètent naturellement les échanges verbaux en tenant compte, en grande partie, du langage non-verbal. Elles ont beaucoup de mal à comprendre les difficultés de communication autistiques puisque leur propre interprétation du langage non-verbal est innée et souvent inconsciente, alors qu'elle résulte d'un apprentissage rigoureux pour les personnes autistes. De plus, et ça a son importance: l'autiste ne comprend que très rarement le langage et les concepts abstraits. Les expressions idiomatiques courantes telles que "tomber dans les pommes" ou "être dans la lune" seront souvent incomprises car interprétées de manière littérales.



Les personnes autistes ont la réputation de ne pas avoir d'humour. C'est encore une fois un cliché qui ne se vérifie pas, cependant, les subtilités inhérentes au langage non-verbal rendent plus difficiles l'accès aux blagues et autres manifestations humoristiques. L'ironie ou le sarcasme sont une gymnastique de l'esprit qui demande à la fois une bonne connaissance du langage non-verbal, mais également une très bonne connaissance de l'interlocuteur. Les personnes à qui je parle de mes difficultés d'accès à la communication globale sont souvent très étonnées d'apprendre que je ne distingue pas toujours l'humour dans leurs phrases. Lorsqu'on plaisante avec moi, j'ai très souvent le doute et je préfère qu'on me précise de façon claire ce qui est vrai ou ce qui ne l'est pas. En règle générale, je privilégie l'humour noir parce qu'il est franc et sans ambiguité.


Une autre difficulté majeure lorsqu'on parle de relations sociales et de communication concerne la théorie de l'esprit, ou plutôt le déficit en théorie de l'esprit des personnes autistes.

La théorie de l'esprit, c'est quoi?


On désigne par théorie de l'esprit - parfois appelé aussi "mentalisation" - l'ensemble des processus cognitifs permettant à un individu de reconnaître un état mental chez d'autres individus. En d'autres termes, la théorie de l'esprit est la capacité à décoder les pensées, attentes, intentions ou désirs des autres et s'avère être un véritable parcours du combattant pour les personnes autistes. Cette difficulté s'explique à la fois par un manque d'interprétation de la gestuelle mais également par l'incapacité souvent prononcée à s'identifier aux ressentis des personnes qui nous entourent.
On admets qu'une personne neurotypique est capable de discerner plus d'une vingtaine d'émotions différentes. La personne autiste en reconnaîtra souvent beaucoup moins. A titre d'exemple, je suis capable d'identifier 6 émotions sur le visage des autres lorsque leur expression est très marquée: la joie, la tristesse, la peur, la colère, la surprise, le dégout. Il faut pour cela que ce soit flagrant et simpliste - une personne qui pleure est triste, une personne qui crie est en colère. J'ai, par contre, bien plus de mal à interpréter un visage fermé ou des gestes nerveux. L'agacement, l'ennui, la gêne, le mépris sont autant d'émotions que je n'attribue de façon certaine que si on y mets des mots. J'ai d'ailleurs une aversion profonde pour l'hypocrisie et le mensonge, notamment parce que je ne suis pas capable de les remarquer. J'ai toujours "un train de retard" :)

La théorie de l'esprit, également appelé "empathie" - à ne pas confondre avec la compassion qui désigne la faculté d'un individu à ressentir de la sympathie envers les sentiments d'une personne - est déterminante dans l'apprentissage du comportement en société. Elle est essentielle afin de pouvoir adapter ses réactions à un interlocuteur ou un environnement précis; anticiper les intentions d'autrui  et déterminer ses attentes aide à se positionner et à réagir de façon appropriée. Plus jeune, je faisais preuve de beaucoup d'incompréhension face aux codes sociaux en vigueur et la limite entre ce que je faisais et ce qui était socialement acceptable m'apparaissait très floue. Je n'ai jamais su quand tutoyer ou vouvoyer quelqu'un, le degré de connaissance de la personne en question ne suffisant pas à trancher. Je n'ai jamais su à quelle fréquence prendre la parole en groupe et j'oscillais sans cesse entre "trop" ou "pas assez". J'ai, depuis toute petite et à l'instar de beaucoup d'autistes, un besoin de contact exacerbé et absolument aucune idée de ce qui est de rigueur et je ne vois que très rarement la frontière entre ce que je peux dire et ce que je devrais garder pour moi. J'ai parfois l'impression d'être en équilibre sur un fil à des dizaines de mètres du sol et j'ai régulièrement besoin d'analyser mes paroles pour vérifier que je n'ai blessé personne.


Même si j'ai appris, comme beaucoup de femmes autistes, à palier au manque de théorie de l'esprit en imitant les comportements des autres autour de moi - souvent à l'extrême ! - et à repérer les situations similaires afin d'interagir en conséquence, je reste encore très maladroite et il m'arrive constamment d'avoir un comportement perçu comme "inadapté" socialement.




* Empathie est ici utilisé au sens premier et étymologique du terme, c'est à dire qu'elle désigne l'incapacité à comprendre et reconnaître les pensées, les désirs et les intentions de l'interlocuteur. 


** Neurotypique: personne non autiste.

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