lundi 6 novembre 2017

La rentrée, une faille dans mon organisation autistique.

Aujourd'hui, c'était la rentrée.
Après deux semaines de calme, il faut à nouveau changer nos habitudes, retrouver nos rituels de période scolaire, s'attacher à des horaires qui ne cadrent pas toujours avec nos besoins. En temps normal, j'y arrive plutôt bien. J'ai eu l'habitude de faire des listes, des plannings, j'ai mis en place une organisation un peu militaire vue de l'extérieur mais qui me permet de prévoir à l'avance comment vont se dérouler les choses et surtout, comment occuper mon temps libre.



Le temps libre dont certains rêvent, j'en ai à revendre, et il m'angoisse terriblement. Une énorme plage horaire vide, sans but, sans repère. Je visualise ce temps blanc, sans aucun plan, et j'ai l'impression de tomber du 20ème étage d'un immeuble sans possibilité de me raccrocher à quoi que ce soit. Si je l'utilise comme je l'aimerais, je me plonge dans quelque chose qui me passionne et j'en oublie tout le reste - même d'aller chercher le louveteau à l'école. C'est donc impossible. Il me faut un temps défini et une activité que je peux arrêter rapidement une fois l'heure venue. J'ai besoin de me discipliner, de quantifier, et surtout de prévoir à la minute près ce qu'il va se passer.


Mais, petit à petit, nous avons pris nos marques, et la rentrée ne devait être qu'une formalité. Le louveteau s'est levé rapidement et à l'heure convenue, notre rituel du matin a vite repris son cours. Il nous rassure, plante les bases de la journée et détermine le bon déroulement du processus "dépôt à l'école".


Arrivés devant l'école. Même heure que d'habitude. Même endroit, une toute petite école, même pas 30 élèves. L'avantage de limiter les interactions, et l'inconvénient de ne pas passer inaperçue. Terrain connu et normalement maîtrisé sur le bout des doigts. On y retrouve donc l'agitation habituelle. Le bruit qui t'assomme. Les gens qui passent rapidement à côté de toi, qui te bousculent un peu au passage. Un peu sonnée. Seul espoir: s'accrocher à nos habitudes, mises sur pause le temps des vacances mais qui reviennent heureusement très vite. 

Tout est ritualisé au maximum afin de m'éviter de me laisser submerger. Monter l'escalier, huit marches. Lâcher la main du louveteau. Le bonjour à la directrice en serrant la main. Trois pas sur le côté, enlever la veste du louveteau. Le bonjour en serrant la même aux instituteurs présents. Encourager le louveteau à mettre ses chaussons seul et restant dans le timing ultra précis instauré. Même heure, mêmes gestes, mêmes questions, mêmes réponses. Le "bonjour-éclair-en-baissant-la-tête" aux autres parents, la formule de socialisation suprême qu'on arrive pas à dire la plupart du temps. Les regards en coin des autres qui se demandent encore pourquoi tu n'es jamais polie. Oublier de sourire une fois sur deux. S'interroger quand même sur le "pourquoi ils arrivent jamais à la même heure d'un jour sur l'autre?"


Plus que deux minutes à tenir. 


En réalité, j'ai longtemps culpabilisé de renvoyer l'image d'une maman fermée, sauvage, peu sympathique et très hautaine. Comme si ce que je pouvais montrer ne reflétait absolument pas ce que j'étais réellement à l'intérieure. Une barrière invisible entre moi et le monde, entre ce que je suis, ce que je ressens réellement et ce que l'on perçoit de moi. J'avais surtout peur que ça porte préjudice au louveteau. Qu'il passe pour le "fils-de-la-cinglée", qu'il soit stigmatisé, isolé, moqué. J'ai fais des efforts inimaginables pour tenter de socialiser de façon appropriée avec les autres parents mais je n'y arrivais pas. Y'avait pas de réelle envie et surtout, une angoisse monstrueuse à chaque fois que j'essayais de répondre à une question. L'impression que mon cerveau tourne à 3000 à l'heure mais qu'il ne trouve simplement rien à répondre. L'envie parfois de relancer une conversation et l'incapacité de le faire, comme si j'avais besoin d'un mode d'emploi détaillé et d'un script fin de savoir quels mots employer, à quelle fréquence les employer, sur quel ton les prononcer. 


Le louveteau se relève enfin, bisous-rituel, phrase-rituel, et il file vers les copains. Je fais demi-tour, prête à dévaler l'escaliers et à fuir le plus rapidement possible. C'était sans compter sur le papa de je-ne-sais-même-plus-qui. Celui qui sourit toujours avec toutes ses dents. Celui qui parle très fort et éclate de rire à chaque phrase. Le papa méga-sociable-qui-aime-tout-le-monde et que tout le monde adore pour son sens de l'humour, sa gentillesse, son implication dans l'éducation de ses enfants. Ce papa là, qui fait systématiquement le tour de tous les parents pour leur faire la bise et que j'esquive royalement bien depuis plus d'un an, se tient désormais devant moi. Il me regarde fixement, me tend la main et me dit "vous allez bien?".


Bug total. Comme si le temps s'était arrêté, comme si les choses autour de moi s'était figées. Réfléchir, très vite. T'es pas dans mon rituel, toi. Qu'est-ce que tu fais là? Pourquoi est-ce que tu me tends la main? Tu es devenu instituteur? J'ai loupé un épisode? Est-ce que je peux m'enfuir en courant? Est-ce que tu me parles à moi? Y'a personne derrière moi, t'es sûr? Je pourrais pas devenir invisible et m'éclipser secrètement? Qu'est-ce qui te pousse à changer mes habitudes? Pourquoi aujourd'hui? 


Je tends péniblement ma main et baisse la tête. Je sens le regard de la directrice posé sur moi, comme si elle essayait de me dire "je sais que c'est difficile pour vous, courage, ça va aller". J'ai l'impression que mon coeur s'est arrêté, j'ai l'impression de ne plus pouvoir traiter aucune autre information pour l'instant. Comme si j'étais paralysée. Dans un élan d'énergie je me retourne enfin et saute littéralement dans l'escalier. Sortir, le plus vite possible. J'ai oublié de répondre à sa question. J'ai oublié de sourire, aussi. Je l'entends dire "c'est vrai, j'aurais pu vous faire la bise, désolé". Alerte rouge. Est-ce que j'ai encore envoyé le mauvais signal? Est-ce qu'il pense que je n'ai pas répondu parce que je suis vexée qu'il ne me fasse pas la bise? Que je n'ai pas souris parce que je suis fâchée? Pourquoi est-ce que je fais systématiquement passer un message erroné à mon interlocuteur?

Dix minutes maximum. Je suis enfin dehors, seule. Vidée. Epuisée. Coller mon casque sur mes oreilles, rentrer à la maison. Et angoisser toute la journée à l'idée de recommencer demain.



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