samedi 10 mars 2018

Parler de son diagnostic, pour ou contre?


Depuis quelques temps, je vois régulièrement des personnes autistes se questionner sur l'intérêt de dévoiler ou non son diagnostic, que ce soit dans la sphère privée ou sur son lieu de travail.
Lorsqu'on reçoit (enfin !) son diagnostic en bonne et due forme, on se pose forcement la question d'en parler ou non à son entourage - du moins, aux personnes qui n'étaient jusque là pas encore au courant de nos démarches.

Mais à qui en parler? Comment le dire? Quelles seront les réactions? Et si c'était mieux de vivre cachés? 



J'ai longtemps pensé qu'il était indispensable d'en parler. Pas nécessairement pour justifier son comportement, comme certains tendent à le penser, mais pour fournir une explication à nos bizzareries et surtout, pour permettre aux personnes qui nous sont proches d'anticiper certaines de nos réactions afin d'éviter tout malentendu. Je croyais donc, un peu naïvement, que lorsque les gens apprendraient que je suis autiste, ils allaient se positionner en tant qu'aidants et que je trouverai des alliés pour pallier à mes difficultés quotidiennes. C'était un peu optimiste de ma part, puisqu'avec le recul je me rends compte que l'idéologie selon laquelle nous sortons de la norme et DEVONT de ce fait nous adapter aux autres est encore bien présente. 

J'ai pris le parti de ne pas dévoiler mon diagnostic sur mon lieu de travail. Aujourd'hui licenciée pour inaptitude, je me demande si, par le plus grand des hasards, parler ouvertement de mon handicap aurait été positif. Très sincèrement, je ne pense pas. Mais je regrette de ne pas l'avoir fait, parce que, même pour un temps, j'aurais aimé pouvoir être honnête et énoncer clairement mes points faibles. J'aurais sûrement eu plus de facilités à évoluer dans le monde du travail sans faire attention à tout ce que je fais et dis, et surtout, j'aurais pu mettre en avant mes compétences réelles et précieuses pour l'emploi que j'occupais, sans que l'on ne me mette "sur la touche" uniquement parce que je ne renvoyais pas l'image d'un salarié classique. 

Dans la sphère privée, j'en ai parlé. Beaucoup. J'ai eu envie de le dire, avec mes mots. Très simple. "Je suis autiste". Il y'avait enfin un mot sur ma différence. Je me sentais un peu envahie d'une mission d'information et je voulais toucher le plus de gens possible. Je voulais que l'on me comprenne. Pas que l'on m'excuse, juste que l'on sache qu'il y'a une raison à mes comportements, une logique à mes raisonnements et une explication à mes faux pas et à mes crises récurrentes. Au début, on m'a posé des questions. Ce qui se passe dans ma tête, pourquoi, comment. J'ai tenté d'expliquer au mieux,  j'ai partagé un nombre incalculable d'articles et j'ai essayé d'exprimer ce que je vivais, même si mettre des mots concrets sur ce que je ressens était encore très compliqué pour moi. J'ai fais des schémas, j'ai expliqué, j'ai illustré par des exemples.

Pourquoi les surcharges sensorielles dans les lieux bruyants / aux lumières trop fortes. Pourquoi mes périodes d'absences, plongée dans mes IRs et pourquoi je me sens si bien lorsque ça m'arrive. Pourquoi je ne comprends jamais ce que l'on me dit, pourquoi je ne sais pas anticiper les réactions des autres. Pourquoi je suis un peu brute lorsque je parle, pourquoi je ne sais pas mentir. Je voulais tout décrire, tout expliquer. Encore une fois, un peu naïvement, je pensais que ça aiderait mon entourage à se mettre à ma place lors de situations compliquées et que ça leur permettrait d'agir en conséquence.

Et puis petit à petit, j'ai eu l'impression de n'être plus qu'un diagnostic. Une personne vide de caractère, un numéro sur une liste. On continuait de me demande ce que je ressentais, mais en m'expliquant finalement que c'était à moi de changer. On me faisait remarquer que mon comportement n'était pas adéquate et que, comme j'en avais conscience, il fallait que j'y remédie. On me disait systématiquement que je ne comprendais rien aux relations humaines et que par conséquent, je devais faire confiance aveuglement à l'analyse qu'en faisaient les autres. A chacun de mes mots, pour chacune de mes réactions, on cherchait la cause "autistique". 

"Tu ne supportes pas l'injustice? C'est parce que tu es autiste." (vrai)
"Tu as des vertiges lorsque la lumière est trop forte? C'est parce que tu es autiste" (vrai)
"Tu mets des jupes et tu aimes la musique classique? C'est parce que tu es autiste."
Et si tu aimes les patates, c'est aussi parce que... enfin bref. 

Au lieu de me retrouver aux côtés de personnes qui pouvaient me soutenir et m'aider à mieux me comprendre et à me gérer, j'ai vite été confrontée au "mauvais côté" de l'annonce. Le paradoxe, c'est qu'on rattache énormément de choses à mon diagnostic, et qu'en même temps, j'ai l'impression qu'on n'en tient pas compte. Je n'ai le droit à aucun écart, parce que je suis autiste. Et comme je suis au courant de mon diagnostic, je devrais prendre sur moi. Je devrais m'adapter. Faire l'effort d'être normale. Ne plus m'imposer aux autres. Ne plus faire de crises. Au lieu d'obtenir de l'aide, j'ai reçu l'inverse: des reproches et des difficultés supplémentaires puisqu'au lieu de m'autoriser à être moi-même, on m'enferme dans des cases. On me dit de me faire soigner, puisque je sais que je ne suis pas normale. On me dit de m'adapter, puisque je connais mon problème. On me dit qu'on ne veut plus me subir, et si je n'avais jamais parlé de mon diagnostic, on m'aurait sûrement pardonné plus facilement.
Je ne suis plus une personne à part entière, autiste certes, mais avec son caractère, ses envies, ses rêves. Aujourd'hui et pour beaucoup, je suis juste une autiste. Et ce n'est pas très positif.


1 commentaire:

  1. Bonjour,
    Tout d’abord merci pour votre témoignage. Pour information j'ai été diagnostiqué autiste Asperger à l'âge adulte, une fois marié avec 3 enfants lorsque que mon couple traversait de grosses difficultés et que par ailleurs j’éprouvais également des difficultés vis à vis de nos 3 enfants.
    Je pense que collectivement toute organisation sociale éprouve plus de facilités pour fonctionner lorsqu’elle énonce de façon explicite mais hélas, le plus souvent de manière implicite et non verbale des règles, des normes qui satisfont soit aux plus puissants et/ou soit aux plus nombreux (donc les neurotypiques ou NT) Faire partie de la « majorité » revient à dire : « l’union » fait la force et implicitement « dicte ses lois », dont qui elle « accepte » et qui « elle souhaite mettre de côté ». Chaque individu peut donc avoir intérêt à titre individuel à trouver des alliés pour accroître sa propre puissance. Dans ce cas le TSA part avec un « handicap » puisque par définition il aura plus de mal à trouver des alliés. L’individu « aidant » ou altruiste, même si cela peut constituer un trait de caractère de tout un chacun, de tout neurotype, n’est pas obligatoirement le trait dominant chez lui. Le NT est par définition au minium dual, mais le plus souvent multiple, complexe.
    - Être honnête ?
    « Aujourd'hui licenciée pour inaptitude, je me demande si, par le plus grand des hasards, parler ouvertement de mon handicap aurait été positif. Très sincèrement, je ne pense pas. Mais je regrette de ne pas l'avoir fait, parce que, même pour un temps. »,
    J’espère que vous avez pu retrouver un boulot.
    Pour moi, la société puis nos proches nous demandent d’abord d’être autonomes. Ensuite, on nous demande de nous comporter comme les autres parce que c’est plus simple à gérer pour eux. L’honnêteté, nos « problèmes » passent après.
    - Faire attention à ce que l’on fait. Voire faire semblant :
    « J'aurais sûrement eu plus de facilités à évoluer dans le monde du travail sans faire attention à tout ce que je fais et dis »
    En fait, je pense que les NT font attention à ce qu’elles disent et font. Que si cela leur est plus facile que pour nous cela ne signifie pas que cela ne leur coûte rien. Qu’il leur faut consacrer aussi du temps, de la concentration, de l’analyse pour mieux se connaître eux mêmes ainsi que les autres. Du coup je suppose qu’ils peuvent se dire « moi j’en ai chié pour être socialement accepté, j‘ai parfois menti (alors que je n’en avais pas forcément envie), simulé (idem), fait donc en partie le contraire de ce que je voulais parfois. Bref, que les autres (dont nous TSA) fassent pareil. On ne fait pas d’omelettes sans casser d’œufs. Voilà tout.
    « et surtout, j'aurais pu mettre en avant mes compétences réelles et précieuses pour l'emploi que j'occupais, sans que l'on ne me mette "sur la touche" uniquement parce que je ne renvoyais pas l'image d'un salarié classique. » 
    Dans sa complexité je crois que le NT a appris à faire semblant (mieux que le TSA mais à des degrés divers selon les personnes. Cela demande aussi des efforts aux NT. Ne pas l’oublier. L
    In fine je crois que ressentir l’envie de parler de son diagnostic, d’être honnête, de renvoyer la vraie image de ce qu’on est, doit être accepté. Néanmoins il nous faut aussi nous interdire de le faire en face de certaines personnes, parce qu’intellectuellement nous TSA pouvons trouver des arguments qui nous signifient que dans un premier temps cela ne jouera pas dans notre intérêt, voire dans un second temps, ni dans l’intérêt de la ou des personnes vers laquelle nous avons éprouvé au départ l’envie d’en parler.

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