dimanche 1 avril 2018

Autisme, mensonges et trahisons.


Lorsque l'on parle d'autisme, on parle le plus souvent de difficultés voire d'incompétences sociales, de déficit dans la communication verbale et/ou non-verbale ou encore d'altération des interactions et de la vie quotidienne aussi bien sur un plan personnel que professionnel. Mais on n'aborde que très rarement ou bien trop furtivement le sujet des difficultés relationnelles directement liées à la sensibilité autistique vis à vis des comportements manipulateurs et mensongers* pourtant bien présents dans notre société actuelle.

La plupart des personnes autistes avec lesquelles j'ai eu l'occasion d'échanger (si ce n'est l'unanimité), présentent de grosses difficultés à faire face aux mensonges et à l'injustice présents sur leur lieu de travail ou au sein même de leur entourage proche. 


Tout d'abord, je lis régulièrement qu'une personne autiste n'est pas capable de mentir et que son aversion pour le mensonge est donc tout à fait naturelle puisqu'elle attends des autres qu'ils la traitent avec le même respect. Je ne parlerais ici qu'en mon nom, puisque comme chacun le sait, il y'a autant de profils autistiques que de personnes autistes. Je suis une très mauvaise menteuse. Et je le sais parce que, oui, il m'est déjà arrivé de mentir, même si je n'aime pas ça, pour des cas de "forces majeures" comme je les appelle. Plus jeune, je mentais pour ne pas avoir à sortir retrouver mes amis lorsque cela m'angoissait trop et qu'ils continuaient d'insister après que j'ai refusé une dizaine de fois. Au travail, je mentais pour ne pas avoir à participer aux évènements sociaux, ou je prétextais un RDV pour fuir un changement de planning qui bouleverserait mes habitudes. Encore une fois, parce qu'on ne m'écoutait pas lorsque je refusais une première fois et que je me sentais prise au piège. Mais mentir, "fabriquer" un mensonge même pour quelque chose d'extrêmement insignifiant, me demande des efforts d'adaptations considérables. Dans ma tête, j'ai besoin de rejouer ce scénario un million de fois, ce n'est pas naturel. Visuellement, je suis mal à l'aise. Je dissocie** systématiquement. Et, évidemment, je me sens tellement mal que je finis forcément par avouer la vérité à plus ou moins long terme.







Quelle différence, donc?


Là où réside la principale différence avec une personne neurotypique, c'est que je suis incapable de simuler, ni de mentir sur ce que je ressens réellement. Mentir sur des faits m'est difficile, mentir sur un ressenti est impossible. A l'image de la plupart des personnes autistes, je dis la vérité, parfois de façon très brute, mais je ne sais pas mentir sur mes sentiments. Je ne sais même pas les cacher et encore moins les garder pour moi. Je suis incapable de faire semblant d'apprécier quelqu'un. Je ne suis pas capable non plus de faire semblant de m'intéresser à une conversation qui m'ennuie profondément, ni même d'adresser un sourire forcé à qui que ce soit. Encore moins de passer volontairement du temps avec quelqu'un que je n'ai pas vraiment envie de voir.

La société actuelle, pourtant, se vante de ne pouvoir fonctionner autrement. Il est communément admis que de complimenter la voisine sur sa nouvelle coupe de cheveux même lorsqu'on ne l'aime pas (la coupe de cheveux, évidemment), c'est normal. Et on pousse même le vice à dire que c'est une question de politesse et que de déroger à cette règle fait de vous une personne mal élevée. 


Je rejette violemment cette idée de politesse, cette notion de respect qui pour moi n'est que de l'hypocrisie masquée. Je me sens mal à l'aise en société parce je ne suis pas en mesure de faire la différence entre ce qu'on me dit par politesse et ce que l'on ressent vraiment. Et que ce n'est pas juste, parce que moi, je ne fais pas semblant. Non seulement parce que je ne sais pas le faire, mais plus encore parce que je n'en ai pas du tout envie. Ca me coûte trop.

Je pense que c'est l'une des raisons, si ce n'est LA raison principale pour laquelle je réagis si fortement au mensonge des autres et encore plus venant de quelqu'un de mon entourage.
Lorsque vous ne maîtrisez pas la communication non-verbale et que vous avez de plus une perception du monde un peu différente, il ne vous reste que les paroles de votre interlocuteur pour tenter de comprendre ce qu'il pense, ce qu'il ressent. Si même les mots sont faussés, il ne me reste plus rien pour me faire une idée précise du véritable ressenti de l'autre. Lorsque vous me mentez sur vos sentiments réels, quel que soit l'excuse et la nécessité, même si vous pensez bien faire pour ne pas me blesser, je me sens perdue et dévastée. Lorsque vos actes vont à l'encontre de vos mots, où est la vérité? Je réagis souvent violemment car, en l'espace d'un instant, toutes les informations vous concernant que j'avais soigneusement étiquetées et rangées dans ma tête volent en éclats et je n'ai plus aucun moyen de discerner le vrai du faux. 



Mais encore plus qu'au mensonge et à la trahison, et comme toute personne autiste, je réagis très fortement à l'injustice. Malheureusement, plus je grandis (vieillis, disons le), plus je suis confrontée au monde extérieur et à toutes les injustices et inégalités qu'il comporte. De l'enfant récompensé lorsqu'il fait du mal, au collègue qui vole votre travail et à qui on offre la promotion. Les inégalités sont partout. Nous y sommes confrontés chaque jour. Bien évidemment, les personnes neurotypiques ont, pour la plupart, une certaine sensibilité à l'injustice, surtout vis à vis des exemples cités.



Quelles différences avec une personne autiste?


Comme beaucoup de personnes autistes, j'ai un système de pensées très précis selon lequel un bon comportement doit être récompensé et un mauvais, sanctionné. Et j'ai, de plus, de grosses difficultés à changer mes habitudes ou à modifier les informations que j'ai préalablement enregistrées. Je ne suis pas capable d'aller à l'encontre de ça, même pour quelque chose de minime. Quelles que soient vos explications. Quelles que soient les justifications que vous présenterez. Et c'est très important, parce que qu'importe l'amour que je vous porterai, je n'accepterai pas de pardonner. J'en suis incapable. Je ne sais même pas comment on fait. A l'inverse d'une personne neurotypique qui analyserait la situation et serait peut-être plus nuancée dans sa réponse à un comportement injuste, je ne suis pas capable de passer outre. Ce serait remettre en cause les bases même de mon fonctionnement.


Mais c'est positif, d'être trop honnête, non?


L'injustice, qu'elle me concerne directement ou que j'en sois simplement spectatrice, me rends malade. Et, la plupart du temps, les personnes neurotypiques qui m'entourent, aussi sensibles soit-elles en temps normal, n'en comprennent pas les raisons. Là où elles voient un malentendus, je vois une injustice tellement grande que je ne peux pas me taire.

Au delà du sentiment d'impuissance qu'elle me procure, elle me rends physiquement malade. La douleur ressentie est souvent telle que je peux passer des heures à me taper littéralement la tête dans les murs. A m'arracher la peau. A jeter chacun des objets qui me tombe sous la main contre le mur. Jusqu'à ne plus avoir de force. Je ne mange plus. Je ne dors plus. Je ne suis plus en état de fonctionner correctement. J'enchaîne les burn-out autistiques sans répit. Je suis une tornade, un monstre de violence et de rage. Parce que je souffre. Simplement parce que les choses ne sont pas comme elles devraient l'être dans mon idéal. Les choses ne sont pas à leur place. Et que j'ai besoin que les choses s'organisent de manière à rétablir l'équité. Ce n'est pas juste un caprice, ce n'est pas juste un moyen narcissique d'attirer l'attention comme j'ai pu parfois le lire. C'est une souffrance inimaginable pour qui ne la pas vécu.




On oublie trop souvent que, qu'importe ma faculté à communiquer au quotidien, qu'importe mon degré d'autonomie et les atouts que je peux présenter dans certains domaines, je reste avant tout une personne autiste. Avec un fonctionnement autistique. Des raisonnements pragmatiques et une vision très binaire des évènements. Une mauvaise compréhension des autres. Une sensibilité et des réactions autistiques, des réactions que l'on se retient de montrer à la télé ou que l'on réserve aux personnes autistes sévères, sans vraiment comprendre qu'une personne autiste, qu'importe son degré de sévérité, reste une personne avec un fonctionnement différent de la norme et que cela entraîne indéniablement des réactions inhabituelles et très fortes. Malheureusement, c'est là tout l'inconvénient d'un handicap invisible, on me demande de me comporter de manière raisonnée, socialement acceptable, en toutes circonstances. On me demande de prendre sur moi, chose que je fais déjà plus de 90% du temps pour m'adapter à mon environnement. Je ne peux pas tout faire. Je ne suis pas un super-héro.

Je me sens si rigide, inflexible sur ces principes. Cette hypersensibilité au mensonge et à l'injustice, ces réactions toutes plus violentes et ce rejet de l'hypocrisie, ce sont les fondements même de ce que je suis. Ils déterminent ce que je ressens. Ils guident mes actes au quotidien. Lorsque je me sens trahie, je suis capable de mettre fin à une relation. Qu'importe sa nature, qu'importe sa durée. Mais à l'inverse de ce que l'on perçoit habituellement, je considère que je fonctionne de manière bien plus simpliste qu'un individu neurotypique. Il n'est pas question avec moi de se demander à chaque instant si je mens, si je trompe, si je manipule. Je ne suis que très peu soumise aux conventions sociales, parce que je ne les comprends pas. Ce que je fais, je le fais pas envie. Ce que je dis, je le pense très sincèrement.
Mais il est aujourd'hui communément admis qu'une personne qui dit ce qu'elle pense sans se soucier de ce que ressens son interlocuteur est une personne malveillante. Je suis perçue comme une personne froide et égocentrique. Vide d'empathie, vide de tout sentiment positif. Et quoi qu'on en dise, quoi qu'on aime raconter, c'est moi qui en souffre le plus.






*Je fais ici référence aux comportements banalisés, aux "petits" mensonges classiques qui sont, pour les personnes neurotypiques, tout à fait normaux et courants.



** J'appelle dissociation le fait d'être en état de déréalisation. En savoir plus ici. 

Autisme, mensonges et trahisons.

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